A la suite des allégations d’ARD et du Sunday Times, le président de la Fédération internationale d’athlétisme réplique avec force à ceux qui l’accusent de fermer les yeux sur des cas douteux.

Début août, la chaîne allemande ARD et le Sunday Times ont mis en cause la Russie et le Kenya, deux pays où le dopage des athlètes serait généralisé. «Malgré les assurances des fonctionnaires russes, les sportifs dopés et les instigateurs sont toujours protégés», affirment-ils, et évoquent une «volonté de dissimuler le dopage (…) jusqu’au sommet de la fédération d’athlétisme kényane.» Ils accusent surtout la Fédération internationale (IAAF) de ne pas avoir sanctionné, sur 5 000 athlètes contrôlés de 2001 à 2012, les 800 (415 sont russes…) dont les échantillons sanguins présentaient des valeurs «suspectes ou hautement suspectes». Enfin, toujours selon ces deux médias, sur cette même période, un tiers des 146 médaillés mondiaux ou olympiques, du 800m au marathon, présenterait des valeurs suspectes. Le Sénégalais Lamine Diack, président de la Fédération internationale, se confie au Figaro pour récuser ces allégations, à trois semaines des Mondiaux (22-31 août à Pékin).

Les révélations d’ARD et du Sunday Times constituent-elles une catastrophe à vos yeux ?

Lamine Diack : Non, ce n’est qu’une péripétie. Je sais bien que certains ont immédiatement affirmé que l’athlétisme était fini, mort et enterré. Mais je vais vous dire, personnellement, cela m’a fait rire. Tout ce qui est fait aujourd’hui en matière de lutte contre le dopage vient du monde de l’athlétisme. J’ai eu la chance d’entrer à la Fédération internationale en même temps qu’Arne Ljungqivst en 1976, une véritable sommité en matière de lutte contre le dopage. Et tout de suite, sous son impulsion, l’IAAF a lutté contre ce fléau.

Ces allégations faisant état d’une Fédération internationale fermant les yeux vous apparaissent donc «trompeuses», pour reprendre le terme de votre communiqué…

Oui, évidemment. L’histoire parle en notre faveur. Pour rappel, au départ, nous avions même mis en place notre propre tribunal arbitral dans le domaine de la lutte contre le dopage, avec une première suspension établie à 4 ans et en cas de récidive, un bannissement à vie. Et c’est le CIO qui nous a demandé de descendre notre première sanction à deux ans. De même, c’est nous qui avons été précurseurs en matière de contrôle hors-compétition. Nous avons bâti tout cela, comme le passeport biologique également, et nous nous sommes battus pour avoir à nos côtés les gouvernements car sans la loi avec nous, nous ne pouvions rien faire. Il n’y a qu’un appareil législatif qui pouvait contraindre un sportif à se soumettre à des contrôles inopinés, à nous ouvrir sa porte tout simplement. Donc que l’on ne vienne pas me dire aujourd’hui que nous n’avons rien fait, ou que nous avons couvert un système de dopage institutionnalisé car c’est totalement faux. L’IAAF a toujours travaillé sérieusement, dans l’intérêt de l’athlétisme, et elle continuera à le faire.

Ne se peut-il pas que, malgré toutes vos précautions, des pays aient pu vous tromper et se jouer du système de contrôles mis en place ?

L’AMA (Ndlr : l’Agence mondiale antidopage) vient de mettre en place une commission sous l’égide de son président, Dick Pound, afin de répondre à cette question. Mais je n’y crois pas. Ces dernières années, en athlétisme ou dans d’autres sports, des sportifs russes ont été contrôlé positifs et ils ont été suspendus. Donc affirmer qu’il y a du dopage en Russie est fondé. En revanche, affirmer qu’il est systématique et organisé, c’est une toute autre chose. Qui, aujourd’hui, peut affirmer qu’une championne extraordinaire telle qu’Elena Isinbayeva se dope ? Non, soyons sérieux. Pour moi, c’est faire du sensationnalisme.

Existe-t-il une solution selon vous pour éradiquer le dopage dans ce pays ?

Les Etats-Unis aussi ont connu à un moment plusieurs cas de dopage. Eux aussi ont été souvent suspectés, voire même accusés. Du coup, ils ont mis en place l’Usada (Ndlr : l’agence américaine antidopage), une organisation indépendante qui éduque les jeunes, qui contrôle les sportifs et qui, le cas échéant, les sanctionne. L’Usada échappe à tout pouvoir politique et la Russie doit faire la même chose. Elle doit balayer devant sa porte. Et je pense qu’elle va le faire.

Vous parliez au début de péripétie. Ne craignez-vous pas au contraire que ces révélations jettent un voile noir sur l’athlétisme, comme l’a vécu le cyclisme ces dernières années ?

Non, je ne pense pas. Ces allégations sont des hérésies. Je pense que les gens sauront faire la différence. Ce n’est pas parce que vous avez une fois dans votre carrière un taux anormal que vous êtes nécessairement dopé, comme l’affirment ces médias. Après, nous sommes disposés à garder les prélèvements aussi longtemps que possible et si il y a de nouvelles trouvailles en matière de lutte antidopage, nous pourrons les analyser. Et si nous découvrons qu’un médaillé était positif, nous lui enlèverons sa récompense. Cela coûte de l’argent de conserver ces prélèvements mais nous l’avons fait dès 2005 à Helsinki. Après, pour déclarer un athlète positif, il faut qu’il y ait une décision unanime des trois experts. A partir du passeport biologique, nous avons suspendu plus que toutes les autres fédérations réunies (39 athlètes sanctionnés et 24 font l’objet actuellement d’une procédure).

Le système conduisant à une suspension est-il le bon aujourd’hui selon vous ? Vu de l’extérieur, on a l’impression qu’il est extrêmement difficile de démontrer qu’un sportif se dope, ce qui profite peut-être à certains…

Je pense qu’il faut d’abord respecter les athlètes. A la moindre petite anomalie, nous n’allons pas suspendre un athlète pour deux ans. Des règles ont été mises en place et ce n’est pas l’IAAF qui les a déterminées, c’est l’AMA. Après, que certains s’amusent à affirmer qu’il y a 50 ou 60% de dopés parce qu’ils ont constaté quelques anomalies, cela les regarde. Certains veulent peut-être nuire à l’image de l’athlétisme, à un mois des Mondiaux. Ou alors certains intriguent pour une redistribution des médailles. Mais il y a des limites à ne pas franchir. Il faut protéger les athlètes propres, et il faut protéger leurs extraordinaires performances. Qui aurait cru par exemple que quelqu’un courrait le 100m en 9’’58 ? Et le 200m en 19’’19 ? Et ses records seront sans doute battus un jour.

Quel regard portez-vous sur Justin Gatlin par exemple, dont certains estiment qu’il profite encore aujourd’hui de s’être dopé au niveau de ses performances ?

Que ces personnes-là le démontrent scientifiquement et nous prendrons des sanctions plus longues. Gatlin a été suspendu quatre ans et après cette période, il est revenu. Aujourd’hui, il est performant et il n’y a rien d’autre à ajouter.

Mais des athlètes tels que lui n’enlèvent-ils pas une part de rêve en poussant au scepticisme ?

Si certains ne veulent plus croire aux performances des athlètes, c’est leur affaire. Mais pour moi, c’est trop facile de dire après une victoire ou un exploit : non, ce n’est pas possible, il doit forcément être dopé. Ce n’est pas ma conception du sport.

Depuis tout à l’heure, nous parlons de répression. Comment, selon vous, peut-on traiter le problème du dopage en amont ? Comment pousser les athlètes à ne pas y avoir recours ?

C’est un problème d’éducation. Il faut donner des modèles aux enfants, et leur démontrer les valeurs d’un sport propre. Le sport, c’est avoir connaissance de soi, de ses capacités, de ses lacunes. Ensuite, c’est le dépassement de soi par le travail. Si on arrive à mettre cela dans la tête des enfants… Cela avance. Après, je ne suis pas naïf, je sais qu’il y a l’argent qui entre en compte. J’ai connu une période où l’athlétisme était amateur. Mais je ne considère pas que l’argent doit tout pervertir. C’est simplement une question d’individus. Certains ne seront jamais pervertis par l’argent alors que d’autres seront toujours des voyous.