C’est ce que claironnent certains Guinéens. Je voudrais bien le croire. En Guinée, on n’en est plus à une élection qui ne fut pas déclarée « enjeu politique majeur » depuis près de soixante ans. Et à chaque fois, l’enjeu s’est évanoui dans un activisme brouillon ou dans le train-train quotidien épicurien des professionnels de la politique. Du point de vue de l’honnête citoyen guinéen, si une élection présidentielle pouvait viser un enjeu, cela aurait pu être celle de juin-novembre 2010.

Malgré le long et dramatique « voyage au bout de la nuit » du peuple de Guinée, entamé à l’aube de la décennie des années 60, l’élection de 2010 annonçait, enfin, une ère nouvelle pour les Guinéens. Elle s’est située dans un contexte tout nouveau de vrai multipartisme politique et de démocratie naissante. Mais les impedimenta des régimes qui se sont succédé jusqu’à cette date étaient toujours réels et donc le premier devoir d’Alpha Condé et de son parti, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), qui accédaient à la gouvernance du pays, en janvier 2011, était d’établir un état des lieux bien précis à présenter à la population, pour dissiper toutes fausses attentes de réalisations spectaculaires immédiates. L’ insuffisante préparation de cette équipe à une gouvernance adaptée à la situation en décombres , la démagogie, très souvent propre à une longue opposition stérile, loin des faits quotidiens et les rodomontades sans fondement ont occupé une bonne partie des deux premières années du quinquennat avant l’irruption de l’épidémie de la fièvre à virus Ebola.

Avant cette épidémie, avait été présenté en guise de bilan de ces deux premières années un document de 76 pages intitulé : « Bilan de deux années de bonne gouvernance de son Excellence, Professeur Alpha Condé, Président de la République, Chef de l’Etat, 2011-2012 » par El hadj Ibrahima Diallo et Mamadou Camara. Ce gigantesque catalogue de bonnes intentions, était présenté comme l’alma mater de la bonne gouvernance du président Alpha Condé. C’était plus que grotesque.

A ce que l’on a appris ici ou là sur l’importance des flux financiers reçus, depuis 2011, de l’ étranger, par le gouvernement guinéen et sur lesquels il n’a pas apporté de précisions aux citoyens guinéens, il y a de quoi se poser la question de savoir si Alpha Condé mérite d’être reconduit à la présidence de la République. Mais poser cette question en ces termes est mal connaître ce qui se passe dans ce pays, et démocratie ou sans démocratie, le président guinéen a bec et ongles pour être reconduit. Dans un pays extrêmement appauvri par la gestion de ses responsables politiques d’hier et d’aujourd’hui, le citoyen électeur n’en est que de nom. Le débit de circulation des espèces sonnantes et trébuchantes de billets de francs guinéens, de jour comme de nuit en direction d’électeurs à acheter n’est un mystère pour personne. Le site internet guineematin.com (12 septembre 2015), vient de montrer Alpha Condé en campagne électorale, distribuant des billets de banque (vidéo). On sait bien que ce genre de pratique d’achats d’électeurs est courant en Afrique. Mais le cas de distribution de deniers publics à ciel ouvert par le chef de l’Etat en personne, est devenu ainsi, une spécificité guinéenne.

Les 8 candidats en lice ont tous, certes, des besoins de financement mais qui, plus que le président-candidat, dispose d’une aussi grande capacité de financement ? L’appropriation par le chef de l’Etat de l’argent de la République de Guinée pour sa réélection est-elle moins condamnable que les vols et pillage de la Guinée sous Lansana Conté ? Or après avoir, des années durant dénoncé et condamné avec force ceux qui ont pillé la Guinée, Alpha Condé fait plus qu’eux ,aujourd’hui, en étant le premier magistrat du pays. Avec des fraudes massives à venir, comment les Guinéens peuvent-ils lui renouveler leur confiance ? Comme l’indique clairement l’achat d’électeurs par l’argent, le président a la haute main sur l’Etat et tous ses éléments composants. Cela est une réalité dans ce pays. Il y en a qui ne veulent pas voir cette sale réalité. Alpha Condé et son parti disposent des corps constitués de la Nation, des deniers publics au service de sa réélection qui ne fait de doute que dans la tête de doux rêveurs. Or cela devrait être difficile de se satisfaire du présent quinquennat perdu qui s’est déroulé dans la manipulation et des tactiques subalternes. Naturellement, l’épidémie Ebola dont personne ne peut nier les amples effets dévastateurs humains et socio-économiques a bon dos pour s’attirer un bilan calamiteux que, malgré tout, les habituels thuriféraires des régimes en place magnifient. Sur Ebola, je souhaite que la mémoire collective des Guinéens demeure reconnaissante à toutes les organisations de santé, toutes les institutions nationales ou internationales qui se sont portées au secours des peuples de la Guinée, de Liberia et de la Sierra Leone.

Je viens d’écrire que c’est un quinquennat perdu qui vient de se passer. On ne peut raisonnablement pas se satisfaire de la situation. Elle ne peut pas expliquer l’engouement de l’opposition politique guinéenne à s’engouffrer dans un jeu qui, de l’affirmation de la mouvance présidentielle, est déjà conclu au premier tour et à défaut au second tour. Alors s’engouffrer dans cette élection, c’est apporter une caution de pluralisme (démocratique) à une mascarade d’élection que d’aucuns, sans rire, disent devoir se dérouler dans un relatif apaisement.

L’accord du mois d’août dernier a été escamoté par le président Alpha Condé. Les manœuvres concoctées par lui et son parti dans l’entre-deux-tours de juin à novembre 2010 (près de cinq mois entre un premier et un second tour d’élection, un record mondial), leur ayant réussi , pourquoi se priver des mêmes tactiques subalternes en octobre 2015 ?

C’est pourquoi les louvoiements de l’opposition républicaine paraissent incompréhensibles. Participer à cette élection, les choses étant ce qu’elles sont, c’est tout simplement cautionner une mascarade d’élection qu’elle va très probablement contester après la proclamation des résultats. Alors où est le pourquoi de la participation ?

Cette opposition républicaine dispose de cadres capables d’expliquer d’abord au peuple de Guinée, puis aux partenaires étrangers qui viennent en aide à la Guinée, pourquoi elle ne veut pas participer à la mascarade, dite « élection transparente ». Si un report de date d’élection est pris par le président pour aboutir à des accords sur les points litigieux en suspens, alors l’opposition républicaine et « ses mouvances », pourront participer dans la clarté à l’élection du président de la République. Le tout n’est pas d’élire quelqu’un pour continuer sur le même train-train médiocre mais de désigner un homme ou une femme de large consensus sur la voie du progrès des nations.

Les Guinéens en ont assez de l’étouffement et de la médiocrité dans lesquels une cohorte d’hommes politiques frénétiques et aux courtes vues les ont conduits et maintenus.


Quoi qu’il en soit, voilà une élection présidentielle :

***** Sans objet précis ?… Retrouver ou trouver un fauteuil pour continuer la morne ballade qu’a toujours connue notre pays.

***** Sans enjeu ?…  A part l’enjeu personnel. Quel vrai programme pour la Guinée a été décliné devant le peuple ? Encore qu’en l’état actuel de la Guinée, à travers ses principales structures, un projet de société réaliste et donc réalisable serait ce qu’il aurait fallu. « Je suis le président des pauvres ! », comme le dit Alpha Condé, n’est pas un programme, les 90% de la population guinéenne sont des pauvres.

***** Si cette élection se passe le 11 octobre 2015, avec tout le brouillard qui couvre encore l’univers politique guinéen, Alpha Condé sera « élu » mais cela ne réglera aucun problème fondamental. Le nouveau quinquennat risque de démarrer dans un contexte national très difficile. Les débauchages de personnes ici ou là n’y feront rien. A l’international, le président reconduit, n’en sortira pas grandi. Or c’est ce qu’Alpha Condé recherchait depuis l’année 2011. Y pensera-t-il avant de se faire proclamer à nouveau président ?

Ansoumane Doré
Dijon, France