Dans un entretien passionnant qu’il a accordé à notre rédaction, l’ancien chef de la junte militaire qui vit en exil à Ouagadougou a affirmé vouloir rentrer au bercail pour faire bouger les lignes et mener son combat politique. Moussa Dadis Camara qui semble rompu aux interviews marathons se livre et nous dit tout sur son alliance avec Cellou Dalein Diallo, la récente sortie du général Sékouba Konaté, la gouvernance du Président Alpha Condé, son programme de société, la menace djihadiste, …
Aminata.com: vous aviez annoncé votre arrivée au pays entre le 20 et le 25 juin dernier. Vos proches ont plusieurs fois révélé votre rentrée imminente. Quand comptez-vous rentrer en Guinée?
Moussa Dadis Camara: J’ai dû plusieurs fois retarder mon arrivée car certaines conditions relatives à ma sécurité n’étaient pas remplies. Les raisons pour lesquelles je rentre sont multiples. Tout d’abord pour me défendre face à la terrible inculpation dont je fais l’objet. Je ne suis pas homme à me dérober devant mes responsabilités morales. J’attends ce moment depuis cinq ans ,pour enfin faire face à ces terribles accusations . J’étais président pendant ces douloureux évènements et que l’on demande des comptes et des explications à tous les acteurs d’une chaine de commandement est dans l’ordre naturel des choses. Je sais avoir une responsabilité morale mais je rentre en Guinée pour balayer toute culpabilité. Ensuite, je rentre pour préparer le combat politique qui s’annonce, et retrouver le peuple pour que dans une réel projet de société , nous avancions ensemble en comprenant les besoins et attentes de tous.
Quel est le niveau de négociation entre votre parti et la formation politique de Cellou Dalein Diallo?
Il est évident que cette annonce a fait l’effet d’un séisme politique. Avec des commentaires désobligeants de parts et d’autres dont je saurai me souvenir. Nous sommes deux formations démocratiques, donc nos instances respectives sont en pleine négociation pour un programme et des propositions nouvelles à l’avant-garde des autres partis.
Donc les négociations sont en cours.
Pour ma part je suis entouré de personnes compétentes et soucieuses de donner une nouvelle impulsion au pays . Nous allons faire aux citoyennes et citoyens de notre pays des propositions innovantes en matière d’éducation et de santé ; quand je dis nous , je pense au vice-président du parti le docteur Pivi et à mon conseiller politique, Ahmed Kourouma, sans parler de toute une nouvelle génération de jeunes cadres de l’intérieur et de l’extérieur qui s’attelle à m’écrire un programme innovant. En résumé nous travaillons pour donner corps à une nouvelle dynamique politique.
Votre ancien frère d’arme, le général Sékouba Konaté a affirmé dans une interview qu’il a accordée à Nouvelledeguinee que « le massacre du 28 septembre n’aurait pas eu lieu » s’il était à Conakry. Qu’en pensez-vous?
J’ai apprécié les différentes interventions du général Konaté, il a raison sur le fait qu’à l’époque j’étais entouré de beaucoup de démagogues. Toutefois dans un souci d’apaisement et afin d’éviter toutes mauvaises interprétations et pour ne pas rouvrir d’anciennes blessures, je garderai pour moi ce qui a été dit entre nous. Mais heureusement le CNDD est bien loin derrière moi.
Monsieur le Président que vous inspire les menaces terroristes dont est confrontée la sous-région ouest-africaine?
C’est peut-être un des problèmes les plus compliqués de ces dernières décennies. La gestion américaine des événements en Irak ou l’ingérence française en Lybie ont favorisé l’émergence de nouvelles forces qui ne demandaient qu’à éclore. L’Afrique de l’ouest a toujours été une région qui a pratiqué sa religion de façon modérée et nous nous battrons pour que cela ne change pas.
Mais il est triste qu’au bout de 50 ans d’indépendance, l’Afrique ne soit pas capable elle-même de gérer ces situations. Il est grand temps que l’Afrique présente un front commun pour enfin éradiquer la menace djihadiste.
Mais c’est aussi une préoccupation qui est internationale. Il faut par tous les moyens empêcher que le terrorisme s’enracine dans cette région. Protéger nos frontières et offrir notre aide à nos frères et voisins.
Que pensez-vous de la gouvernance actuelle d’Alpha Condé?
Tout d’abord je comprends la difficulté qu’éprouve le président à gérer un pays dont les cadres qu’il ne connaissait pas sont pour la plupart corrompu. Je le comprends parce que j’ai moi-même été confronté à cette gangrène. Et de fait pour réussir son quinquennat il aurait dû se débarrasser de certains cadres pour renouveler une classe politique sclérosée et vieillissante comme j’avais commencé à le faire. Ensuite Ebola ne peut pas tout expliquer et les actuels malheurs de notre pays ne peuvent être imputés à un seul événement tout comme ils ne peuvent l’être à un seul homme ; mais le peuple avait de grands espoirs dans ce seul homme et aujourd’hui force nous est de constater que la Guinée est loin derrière ses pays frontaliers comme la Côte d’Ivoire ou le Sénégal en termes d’émergence économique. Quand je vois que la Côte d’Ivoire construire son premier métro et que nous peinons à installer des barrages hydroélectrique je mesure le chemin qu’il nous reste à parcourir.
Si vous êtes élu à la tête de la Guinée, quelles sont vos trois premières priorités?
Si je suis élu, mes trois premières priorités seront:
– Rajeunir le personnel politique et les commis de l’Etat pour être enfin en phase avec les défis qui sont les nôtres et faire confiance à notre jeunesse.
– Moderniser le système de santé et réformer le système social, avec des soins médicaux pris en charge par l’état ou encore des systèmes d’allocations familiales pour les familles. Cela demande beaucoup des moyens et une meilleure gestion et répartition de nos ressources naturelles
– des réformes plus qu’essentiels pour l’emploi des jeunes en développant la formation et le secteur privé qui est créateur d’emplois. Cela fait parti d’un ensemble de mesures que nous proposeront au parti avec lequel nous discutons.
Comment se sont passées les auditions qui ont abouti à votre inculpation à Ouagadougou?
Très bien. Je dois admettre que je ressens une certaine empathie à l’égard des juges qui ont effectué leur audition de manière exemplaire. Ils m’ont écouté , en ayant une volonté constante d’instruire à charge et à décharge, sans être affecté par la pression , le déferlement médiatique et politique que leurs venues a suscité
Vous vous dites à l’écoute des jeunes, comment les entendez-vous ?
D’abord sachez que je suis connecté à de nombreux réseaux sociaux et qu’il m’arrive souvent aussi de lire les forums ou blog les désirs ou désenchantement de la jeunesse, au contraire du president Alpha Condé qui déclarait ne pas lire la presse et encore moins internet. Ensuite comme je vous l’ai déjà dit je suis entouré de bons communicants comme Maxim Manimou et d’une jeune génération de cadres bien au fait de ces nouvelles technologies . Une génération concerné par les problèmes d’emplois , d’insécurité et d’angoisse des jeunes guinéens face à un avenir qui leurs paraît incertain.
Entretien réalisé par Alpha Oumar Diallo pour Aminata.com