Sous un titre en forme d’interpellation et de mise en garde : « Attention, ce dernier mandat présidentiel doit refléter l’exemplarité juridique à plusieurs niveaux en Guinée », le juriste Mohamed Camara, relève ici les insuffisances juridiques des deux derniers décrets pris par le chef de l’Etat, nommant les sieurs Sidya Touré et Jacques Diouf, auprès de lui, à la présidence de la république.
Lisez plutôt :
Les Institutions doivent jouer leur rôle avec l’usage des moyens d’actions réciproques conformément à la législation en vigueur.
Mais hélas, les problèmes continuent en termes d’inapplication de la loi, d’excès d’application ou d’inobservation de la procédure sur fond d’argutie juridique savamment orchestrée pour empêcher le respect des Lois de la République.
De l’exécutif au législatif en passant par les organes juridictionnels et les militants.
Le Président de la République : il a pris deux Décrets qui suscitent le débat et non sans conséquences. Et pour cause ! Deux nominations juridiquement à problèmes.
Il faut rappeler que le Président de la République, en application des articles 27 et 154 de la Constitution du vendredi 7 mai 2010, est dans son tout dernier mandat.
Il s’y ajoute que le Président de la République a fait preuve de grandeur en prêtant le serment conforme le 21 décembre 2015 et non en réitérant le serment incomplet qui a été soumis à sa lecture le 14 décembre 2015. Cette marque de respect de la législation devrait se poursuivre grâce au rôle capital de la Cour Constitutionnelle.
Il est vrai qu’il dispose du pouvoir règlementaire général sur le fondement de l’article 46 de la Constitution pour nommer et déléguer une partie de son pouvoir. Mais, cela doit obéir aux Lois de la République.
Le premier Décret nommant au Poste de Haut Représentant est juridiquement incomplet et sonne comme un miroir aux alouettes pour l’initiateur des slogans « 5 ans, on est fatigué ! » « Un coup dehors ! » et reçu à la Présidence en liesse sans même attendre l’arrêt de la Cour Constitutionnelle. Quel oxymore ! Un étonnant Décret gracieusement offert par un Président qui a accusé les anciens Premiers Ministres d’être « responsables » de tous les maux du pays. Quel oxymore !
Ce Décret est incomplet dans la détermination de la compétence matérielle (le domaine d’attributions) et territoriale (en Guinée ou à l’étranger avec une légation passive auprès des organisations internationales ou un poste aux relents d’ambassadeur extraordinaire et mondialement itinérant) pour le nouveau promu.
Il faut prendre d’abord, un Décret modifiant le Décret D/2012/132/PRG/SGG du 12 décembre 2012 portant organisation de la Présidence de la République pour intégrer dans l’organigramme, les schémas hiérarchique et fonctionnel;
Ensuite, un Décret nommant Monsieur TOURE en précisant son domaine de compétences (attributions et rang protocolaire) et l’étendue du territoire au risque d’avoir les effets contraires. Il y a un risque de querelles de leadership, de conflits de compétences à l’interne et à l’externe du pays, au climat de travail éruptif avec les administrateurs, diplomates accrédités en Guinée et à l’étranger, toute chose qui ferait intervenir outre le Président de la République dans de récurrents arbitrages pour assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics en vertu de l’article 45 de la Constitution, ou la Cour Constitutionnelle en application de l’article 1er alinéa 5 de la Loi organique 06 du 4 octobre 2011, en tant qu’« organe régulateur du fonctionnement et des activités des Pouvoirs législatif et exécutif et des autres organes de l’État » ainsi qu’en son article 18 pour le règlement des conflits d’attributions. A signaler que c’est le Premier Ministre qui dirige, contrôle, coordonne et impulse l’action gouvernementale. Il noue le dialogue avec les acteurs sociaux et politiques en vertu de l’article 58 de la Constitution. Haut Représentant, vrai poste administratif ou lot de consolation politique pour un acteur ambitionnant d’être dauphin?
L’autre conséquence de ce Décret, c’est qu’il entraîne la perte de son statut de Député en application des articles 132, 144 et 145 de la Loi électorale « Code Electoral » et doit de ce fait être remplacé par la personne non élue sur la liste nationale du titulaire dans l’ordre de présentation de la liste au moment l’élection dans les 8 jours suivant la décision de validation.
En plus, ça relance la nécessité de recomposer la CENI en application de l’article 6 de la Loi organique 016 du 19 septembre 2012 portant Composition, Organisation et Fonctionnement de la CENI.
Quant au Décret nommant Monsieur Jacques DIOUF, il est généreux mais n’obéît pas à la préoccupation du législateur qui impose pour un simple recrutement de fonctionnaires de la Hiérarchie A, B et C des conditions de nationalité à l’article 28 de la Loi 028 du lundi 31 décembre 2001 portant Statut Général de la Fonction Publique, à plus forte raison pour un rôle de Conseiller spécial du Président de la République dans un contexte international marqué par la géopolitique, la géostratégie, la Realpolitik, les intérêts divergents entre pays, des rapports de force en présence et la volonté hégémonique des Etats. Il s’y ajoute, l’impérieuse nécessité de conserver la mémoire institutionnelle des données sensibles de l’Etat dans un élan patriotique. Il va falloir respecter la législation en le recrutant à la suite de Termes De Référence (TDR) comme Consultant attitré aux frais de la République et non comme Conseiller Spécial en tête. Ainsi, la Guinée maintiendra sa marque d’hospitalité légendaire envers tous, tout en bénéficiant de leur expertise riche en éléments de comparaison.
D’ailleurs en matière de Décrets, le plus urgent, c’est la prise de deux (2) Décrets portant confirmation ou infirmation de la proposition de Structure et composition des membres du Gouvernement. Justement, les 50 jours d’attente entre la publication des résultats définitifs le 31 octobre et l’investiture le 21 décembre servaient à cela au lieu de faire la disjonction de l’investiture. Dès la nuit du 21 décembre 2015, les Décrets de nomination du Premier Ministre, celui relatif à la Structure du Gouvernement et celui à la Composition de ses membres étaient attendus. Au lieu d’exiger que le gouvernement démissionne en bloc comme un forcing alors que ce n’est pas du tout une exigence constitutionnelle, ni légale encore moins réglementaire, étant donné que la Guinée n’a pas un régime parlementaire. Le Premier Ministre n’étant responsable que devant le Président de la République qui le nomme y compris les Ministres et met fin à leurs fonctions en application de l’article 53 de la Constitution. Il s’y ajoute que la démission est un droit, on l’accepte ou la refuse. Mais, on ne peut préférer prendre acte sans refuser ni accepter tout en intimant d’expédier les affaires courantes. Les Ministres ne peuvent être leurs propres intérimaires, ce rôle est dévolu aux Secrétaires Généraux des Ministères en application des dispositions combinées des Lois 028 et 029 du lundi 31 décembre 2001 portant d’une part, Statut Général de la Fonction Publique et d’autre part, Principes Fondamentaux de Création, d’Organisation et de Contrôle des Structures de Services Publics.
Par ailleurs, aspirer aux postes de responsabilité, c’est bénéficier de privilèges et se soumettre aux exigences qui en découlent ! En termes d’exigences, la déclaration écrite des biens sur l’honneur doit se faire par le Président de la République 48 après LA CEREMONIE D’INVESTITURE et NON LES CEREMONIES en application de la l’article 36 de la Constitution.Il s’en suit que le Premier Ministre, les Membres du Gouvernement, le Président de l’Assemblée Nationale, les premiers responsables des Institutions constitutionnelles, le Gouverneur de la Banque Centrale et les responsables des régies financières de l’Etat doivent faire de même avant et après leur fonction.
Du Chef de file de l’opposition actuel : il continue de violer systématiquement ce Statut, aidé en cela par les structures étatiques chargées de le faire bénéficier des avantages qui en résultent. Il brille par son absence aux cérémonies officielles alors qu’il a rang protocolaire juste après les Présidents des Institutions et bien avant le Premier Ministre et les membres du gouvernement. Il doit respecter la loi y afférente. C’est le peuple qui en a décidé ainsi. Il doit avoir un calendrier de rencontres avec le Président de la République pour discuter des sujets d’intérêt national étant donné qu’il est lui expérimenté en gestion administrative malgré son déficit d’expérience en politique alors que le Président de la République, lui est expérimenté en politique en dépit de son déficit d’expérience en gestion administrative. Que les militants de l’UFDG comprennent que ce Statut avec ses exigences sont du fait du peuple via l’Assemblée Nationale. Que les militants du RPG comprennent que le Président de la République, une fois élu, cesse toutes responsabilités au sein du parti en application des articles 38 et 45 de la Constitution. Quoique présenté par un parti, il doit se mettre au-dessus des partis politiques afin de bien incarner l’unité nationale au risque de contribuer à la violation du serment, cause de haute trahison en application de l’article 119 de la Constitution. Qu’aucun député ne boude les séances de l’Assemblée Nationale au risque de violer à nouveau l’article 70 de la Constitution par souci d’obéissance anormale aux acteurs mécontents alors qu’ils n’ont pas de mandat impératif, mais représentatif.
Qu’ils exigent le dépôt à temps du projet de Loi de Finances avant la date limite et le vote systématique des Lois de règlement à l’Assemblée Nationale pour insuffler une bonne gouvernance et développer la culture de reddition des comptes.
Mohamed CAMARA, Juriste, chargé de Cours de Droit