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Interview: »L’Etat est démissionnaire de ses investissements au niveau de sa presse’’ dixit Ibrahima Koné, Directeur Général Adjoint chargé du développement du quotidien National Horoya.

A l’occasion de la fête internationale de la liberté de la presse, le Directeur Général Adjoint chargé du développement du quotidien national Horoya, en a profité pour faire l’état des lieux des médias publics guinéens, notamment celui dont il a la responsabilité. Dans cet entretien inédit, Ibrahima Koné dénonce la faible assistance de l’Etat pour la bonne marche de cet organe étatique. Lisez.
Aujourd’hui 3 mai, c’est la journée internationale de la presse, quelle lecture faite vous de cette journée en République de Guinée ?
Ibrahima Koné : En tant que journaliste et patron de la presse publique je suis content de la célébration de cette journée. Ma lecture est simple, il s’agit de mettre à profit cette journée pour faire le diagnostic de notre milieu, notre profession.
Ma joie, elle se conçoit du moment où, la Guinée a gagné un point dans le classement mondial de la liberté de la presse. Nous sommes partis de 110ème en 2020 à 109ème en 2021. Il faut notamment comprendre que le journalisme est un métier à risque. Au niveau de l’Union de la Presse Francophone, (UPF) que je préside en Guinée, nous pouvons affirmer qu’aucun journaliste n’est persécuté ou inquiété dans l’exercice de son travail. Je voudrais pour cela exhorter mes confrères à redoubler d’effort afin que nous soyons encore parmi les meilleurs l’année prochaine. Et puisqu’on en parle, nous donnerons raison à ceux qui disent que le journaliste n’est pas un juge mais qu’il a pour mission d’informer l’opinion publique de façon juste et équitable.
Cette journée est donc une opportunité d’évoquer les conditions de travail des journalistes guinéens en général et surtout ceux du secteur public. Est-ce- qu’ils sont devant les tribunaux pour juste s’être exprimés où parce qu’ils ont mené des enquêtes qui ont révélé ou dénoncé les tares de la gouvernance publique ? Je dirai non.
Sur ce, je suis très joyeux dans la mesure où nous pourrons diagnostiquer nos problèmes. Aujourd’hui la grande question qui se pose est de savoir comment faire pour que le journaliste Guinéen du public puisse trouver le bonheur dans son travail comme le sont les travailleurs des autres secteurs ? Mon souhait le plus ardent est que nos confrères profiter de leur labeur pour fonder une famille, préparer l’avenir de nos enfants et surtout que nous puissions leur léguer le sens du bien-être.
Dites-nous comment la presse privée guinéenne arrive-t-elle à concurrencer les médias d’Etat dans notre pays ?
Il faut d’abord que vous comprenez que nous sommes dans un pays où l’Etat est démissionnaire de ses investissements au niveau de la presse publique. Et cela représente une sérieuse entrave au développement de cette dernière car depuis bientôt dix ans c’est l’une des plus grandes difficultés qui assaillent le domaine.
Le chef de l’Etat quant à lui ne cesse dans ses discours de dire que son gouvernement ne communique pas, malgré qu’il fasse beaucoup de choses. Il faut donc que le Président de la République se rende compte que les moyens qu’il a aujourd’hui à travers le ministère de l’Information et de la Communication, (MIC) sont ses différentes directions, la RTG1 et 2, la Radio nationale, le Quotidien National ‘’Horoya’’, l’Agence Guinéenne de Presse ‘’AGP’’, l’OGP et la Radio Rurale. Il faut aussi qu’il appréhende que si ces structures ne sont pas dotées de matériels adéquats avec un budget conséquent il serait difficile à nos équipes de couvrir des activités d’ici Nzérékoré afin de montrer les initiatives présidentielles au peuple.
La presse privée quant à elle, travaille sur fond propre, et ses journalistes ont des moyens pour se déplacer et ont des correspondants partout en Guinée et même à l’étranger. Est-ce qu’on voit de nos jours des médias publics guinéens qui font des reportages à l’extérieur ? Et depuis combien d’années on n’a pas vu une équipe de la RTG s’entretenir avec les Guinéens de la diaspora ? Et l’Etat dans son argumentaire ne dira pas que c’est par manque de personnel vu qu’on a de bons journalistes, mais on n’a pas de moyens nécessaires pour un bon fonctionnement. Voilà ce qui fait qu’aujourd’hui la presse privée et celle internationale ont tendance à dominer la presse étatique.
Regardez dans nos studios quel débat et quelle grande émission y sont diffusés ? Il y’en a peu comme pour dire que nous commençons à délaisser le terrain à la presse privée. C’est pourquoi d’ailleurs tout ce qui est dit dans la presse privée, les Guinéens le prennent pour une parole d’évangile. Chose qui n’est pas du tout vraie, la presse publique doit elle aussi pleinement jouer son rôle. Mais hélas son pourvoyeur qu’est l’Etat est presque absent sur le plan financement.
Informer le peuple est un rôle régalien. En plus de la communication des actions gouvernementales, la presse éduque, divertit et donne également un sens élevé d’éducation aux jeunes à travers des émissions ludiques.
Nos gouvernants se plaisent d’aller dans les studios des médias privés, parce qu’actuellement ce sont eux les détenteurs des moyens. Quand vous laissez vos médias au profit d’autrui c’est vraiment dommage. Dans le temps on parlait de la voix de la révolution qui était une Radio très puissante avec des journalistes compétents.
Au niveau budgétaire il s’avère que la part allouée au département de l’information est carrément insignifiant. Et c’est alarmant de constater que même des Directions ou des services de certains Ministères ont plus de budget que nous. Pour la petite anecdote, le journal Horoya recevait trois cent millions chaque trimestre au temps de feu Président général Lansana Conté et depuis l’avènement du Pr Alpha Condé au pouvoir on n’a jamais reçu une subvention de plus de 20 millions. C’est seulement en 2017 lors de sa dernière visite dans nos locaux qu’on a pu bénéficier d’un milliard de francs guinéens et d’une voiture pickup.
Pourquoi le journal Horoya n’est-il pas distribué sur l’ensemble du territoire national, surtout dans les provinces reculées et quelle stratégie comptez-vous mettre en place pour pallier à ce handicap?
Ecoutez, il n’y a pas mille stratégies, chaque grand projet doit avoir un budget conséquent pour sa réalisation, En date, Horoya n’a pas de budget consistant, pas d’imprimerie, pas de véhicule pour la distribution des journaux (la messagerie).
La baisse de vente des journaux papiers depuis l’avènement de l’Internet se fait ressentir partout. Au fait ce n’est pas en Guinée seulement, les journaux s’achètent très peu, en France, en Chine, aux Etats-Unis on observe la même chose. Mais il y a des citoyens qui ont la culture de lire les journaux, voilà pourquoi le journal papier fait toujours son petit bonhomme de chemin: le Monde, le New York times, the Guarden, les quotidiens nationaux dans les différents pays, le Soleil au Sénégal, Fraternité matin en Côte d’Ivoire, Togo Presse au Togo, Essor au Mali, Sidwaya au Burkina Fasso sont encore dans les kiosques. Horoya fait partie du patrimoine historique national que nous devons protéger dans ce difficile contexte actuel.
Nous tirons environs 2000 copies à chaque publication, comment voulez-vous que nous soyons à l’intérieur du pays ? C’est pour vous dire, un peu dans quelle souffrance on se trouve. L’Etat doit se réveiller, et surtout penser à la survie des organes de presse étatique parce que nous relevons de lui.
Aujourd’hui là où Horoya peut aller l’internet peut ne pas aller, il faut bien que les gens arrêtent de rêver, pensant qu’il faut tout mettre sur l’internet. C’est bien mais dans le cas guinéen les journaux papiers sont encore utiles.
Dans combien de localités de la Guinée il y’a de l’électricité et qui parle d’Internet parle forcément d’autonomie énergétique. Voilà pourquoi le journal Horoya doit être rétabli, tout comme les différents médias publics (la radio nationale, les radios rurales et la télévision RTG). Donc si ces médias précités ont un budget de fonctionnement consistant, ils pourront convenablement couvrir l’étendue du territoire et aller même au delà.
Et la population à la base serait mieux informée, mieux orientée, mieux éduquée sur les initiatives gouvernementales
Il semblerait que le Premier ministre Dr Ibrahima Kassory Fofana, a instruit aux différents départements de s’abonner et de passer leurs offres dans les colonnes du quotidien Horoya. Quand est-il aujourd’hui de cette recommandation ?
Pour le dire de façon objective, même la primature n’a pas favorablement répondu à ce courrier que le Premier ministre a signé. Parce qu’elle serait abonnée, ce qui n’est pas le cas. Je crois qu’il y a quelques Ministères qui nous envoient des publications de façon sporadique mais pas d’abonnements. En plus il n’y a que quelques directions qui ont fait un abonnement chez nous. C’est pour vous dire que la note circulaire du premier ministre n’a pas été considérée, ni respectée au sein de l’administration publique guinéenne. Imaginer que si toutes les préfectures, les directions déconcentrées de l’Etat, les projets agricoles et autres avaient fait leur abonnement ou envoyaient régulièrement tous les communiqués au journal, cela allait nous apporter une importante marne financière qui pourrait combler notre manque criard de moyen financier, Ces entités précités font fi des instructions du chef de gouvernement.
Aujourd’hui nous les patrons de presse publique en Guinée nous n’avons que nos yeux pour pleurer, voilà pourquoi nous continuons à interpeller l’Etat afin qu’il nous vienne en aide. Horoya est l’archive de notre pays, c’est le cœur battant de la Guinée, vu qu’il existe depuis les années ‘’50’’. Il est aussi le gardien de l’histoire de notre pays contrairement à Facebook.
Pour faire la part des choses, il serait essentiel d’attirer l’attention de nos Ministres qui ne pensent qu’à mettre leurs réunions ou autres de leurs activités sur Facebook, alors que Facebook et autres ne sont pas institutionnels (communication institutionnelle).
Il serait opportun et primordial que Horoya soit associé à toutes les activités administratives en République de Guinée.
Que faut-il faire pour que le Horoya puisse concurrencer ses confrères de la sous-région, comme fraternité matin de la Côte D’Ivoire et le soleil du Sénégal. Quelle méthode comptez-vous appliquer pour les égaler?
Premièrement, solliciter de l’Etat, notre principal partenaire de nous doter d’un budget conséquent. Nous représentons un secteur vital de l’Administration et de la vie publique de la nation guinéenne.
Deuxièmement il nous faut de l’équipement digne de ce nom, (une imprimerie, des engins roulants, des caméras, des dictaphones, etc.) pour qu’on puisse couvrir l’ensemble du territoire national Voilà ce qu’il nous faut entre autres.
Au Sénégal par exemple, chaque matin les gens se procurent les journaux pour avoir l’information du jour. En Côte D’Ivoire et dans les autres pays c’est pareil. Ce sont des journaux tirés à environ 300 000 exemplaires par jour. Mais chez nous le manque d’imprimerie propre à nous, nous oblige à payer des privés pour nos impressions malgré la teneur du budget qu’on a. Alors tout ça, c’est pour vous dire que réellement on a des problèmes.
Conjointement, partout où nous sommes allés avec le chef de l’Etat, que ça soit en Russie, aux Etats-Unis, au Japon, en Chine, ils nous ont toujours remis des journaux de l’Etat pour nous permettre de connaître les lieux. Ça c’est possible en Guinée aussi.
Pour conclure, je rappelle une fois encore qu’on est soucieux de l’avenir de notre direction et nous exhortons le chef de l’Etat, le Pr Alpha Condé, le premier Ministre Dr Kassory Fofana et le ministre de l’information et de la communication M. Amara Somparé à nous venir en aide afin que nous puissions trouver une solution idoine pour la bonne marche de cet organe, qui est un symbole de notre nation».
Entretien réalisé par: Amara Touré
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